Quelques questions suscitées par la lecture du Traité de la vrai dévotion à la Sainte Vierge (Saint Louis-Marie Grignion de Montfort)
Saint Louis-Marie Grignion de Montfort
Première partie
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Sous-partie : Marie a été très cachée dans sa vie
Les numéro
s de paragraphes donnés ci-dessous sont référencés dans le Traité de la dévotion par Louis-Marie Grignion de Monfort
EXTRAIT DU TRAITE :
2 : « Son humilité a été si profonde qu’elle n’a point eu sur la terre d’attrait plus puissant et plus continuel, que de se cacher à elle-même et à toute créature, pour n’être connue que de Dieu seul. »
« Dieu, pour l’exaucer dans les demandes qu’elle lui fit de la cacher, appauvrir et humilier »
QUESTIONS : Pourquoi la Vierge Marie doit elle se cacher à elle-même et s’humilier ? Si Dieu a voulu la cacher à tous, pourquoi veut-il nous la révéler et que nous passions par elle pour aller à lui ?
C’est Dieu qui nous a créés, à son image, et qui veut que nous nous aimions nous-même pour l’aimer. Pourquoi alors se cacher à soi-même ?
REPONSE du frère Jean-Marthe :
Il me semble que nous devons entendre ce qui nous est dit là en tenant compte de deux niveaux :
1) Oui l’attraction d’amour de Dieu sur Marie est-t-elle qu’il prend tout.
”Quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes” (Jn 12, 32).
Marie est immaculée, par une grâce (de miséricorde) prévenante ; donc elle n’a pas en elle le péché originel, ni ses conséquences.
En 1854, Pie IX, à travers la Bulle « Ineffabilis », proclama solennellement le dogme de l’Immaculée
Conception, qui tient en quelques mots : «Nous déclarons, nous prononçons et définissons que la doctrine qui affirme que la Bienheureuse Vierge Marie dès le premier instant de sa conception, par grâce et par privilège spécial de Dieu tout-puissant, en considération des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, fut préservée de toute tache du péché originel, est une doctrine révélée par Dieu, et que, pour cette raison, elle doit être fermement et constamment crue par tous les fidèles » –
Cette attraction prend tout en elle, et la conduira à cette merveilleuse réponse d’amour qui sera sa propre consécration à Dieu, cf. Présentation de Marie, fêtée dans l’Eglise le 21 novembre.
Aussi, Marie ne cherche pas à se cacher à elle-même (dans le sens où elle poserait des actes qui serait contre sa volonté de se regarder) mais Marie se tourne volontairement vers Dieu. Et cette attitude prend tout en elle.
Attitude qui correspond à celle naturelle d’une fille de Dieu…
Le prologue de Saint Jean éclaire aussi cet aspect : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. ” (Jn 1, 1-2). Le terme grec traduit dans la nouvelle version liturgique par “auprès de” est προς ‘’pros’’ qui implique un mouvement, tourné vers.
Ainsi, la Vierge Marie est tournée vers Dieu, ce qui n’exclut pas qu’elle puisse se regarder elle-même aussi. Oui, elle s’aime et dira même : ”Le Puissant fit pour moi des merveilles” puis ”Tous les âges me diront bienheureuse”. Donc Marie a aussi cette connaissance aimante d’elle-même ; mais ce regard sur elle est un véritable acte d’amour de soi, qui n’a pas la moindre attitude soit d’orgueil, soit d’égoïsme, et qui en se regardant, se contemple dans l’acte même d’amour de Dieu pour elle (du moins c’est ce qu’il me semble).
Donc, la Vierge Marie n’a pas besoin de s’humilier au sens strict, car elle est humble.
2) Une fois cette précision faite, nous pouvons entendre ce que nous dit s. Louis-Marie dans le sens aussi où la Vierge Marie ne recherche jamais à se mettre en avant, ni sa propre gloire.
Et Dieu n’interviendra – quand Il le voudra – que de façon très précise et parcimonieuse, si je puis dire.
+ Pour ce qui est de l’Immaculée – silence total.
+ Pour ce qui est de la mère de Jésus – le minimum syndical, et encore pas rapidement.
Prenons l’Annonciation, Marie est restée silencieuse, elle n’a dit à personne qu’elle était la mère du Messie attendu, et cela même envers Joseph. Et ce n’est que Dieu qui a révélé à Elisabeth, puis à Joseph, qu’elle était la mère du Sauveur.
Puis silence pendant 30 ans.
Ensuite, ce sera seulement Jésus qui se révélera comme le fils de l’Homme et le Fils de Dieu, et par conséquence, cette gloire de Jésus rejaillira sur sa mère.
+ Pour ce qui est de la mort de Marie et de l’Assomption, là encore silence total dans les Ecritures.
Donc, d’une certaine manière, oui Marie a demandé à rester cacher, et Dieu l’a exaucée.
Enfin, Marie a été humiliée, certes, à mon avis non par Dieu directement mais par les hommes, comme le Christ Lui-même a été humilié.
Vous vous imaginez sans doute que je ne suis pas en pleine accord avec ce qui est écrit au §5 :
« Marie est l’excellent chef-d’oeuvre du Très-Haut, dont il s’est réservé la connaissance et la possession. Marie est la Mère admirable du Fils, qu’il a pris plaisir à humilier et à cacher (5) pendant sa vie pour favoriser son humilité, la traitant du nom de «femme, » mulier, comme une étrangère(6), quoique dans son coeur il l’estimât et l’aimât plus que tous les anges et les hommes. Marie est la fontaine scellée et l’épouse fidèle du Saint-Esprit, ,où il n’y a que lui qui entre. Marie est le sanctuaire et le repos de la sainte Trinité, où Dieu est plus magnifiquement et divinement qu’en aucun lieu de l’univers, sans excepter sa demeure sur les chérubins et les séraphins ; et il n’est permis à aucune créature, quelque pure qu’elle soit, d’y entrer sans un grand privilège (7). »
Certes c’était l’interprétation usuelle à l’époque, certes aussi s. Louis-Marie s’est trompé sur le sens du mot Alma, dans l’expression Alma Mater. Ces éléments l’ont peut-être conduit à s’exprimer d’une manière un peu trop forte.
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Sous-partie : Dieu le Père veut se faire des enfants par Marie jusqu’à la consommation du monde
EXTRAIT DU TRAITE : 46-47 : « « Un homme et un homme est né en elle », dit le Saint-Esprit : Homo et konio natus est in ea. Selon l’explication de quelques Pères, le premier homme qui est né en Marie est l’Homme-Dieu, Jésus-Christ ; le second est un homme pur, enfant de Dieu et de Marie par adoption. Si Jésus-Christ, le chef des hommes(46), est né en elle, les prédestinés, qui sont les membres de ce chef, doivent aussi naître en elle par une suite nécessaire : une même mère ne met pas au monde la tête et le chef sans les membres, ni les membres sans la tête, autrement ce serait un monstre de nature ; de même, dans l’ordre de la grâce, le chef et les membres naissent d’une même mère ; et si un membre du corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire un prédestiné (47), naissait d’une autre mère que Marie qui a produit le chef, ce ne serait pas un prédestiné ni un membre de Jésus-Christ, mais un monstre dans l’ordre de la grâce. »
QUESTION : Comment se positionner par rapport à ceux qui ne passent pas par Marie pour aller à Jésus ? Jésus ne sauve-t-il pas tous les hommes de bonne volonté, donc aussi ceux qui ne passent pas par Marie ?
REPONSE du frère Jean-Marthe :
S. Louis-Marie précise avant le texte ci-dessus,
“J’avoue avec toute l’Église que Marie n’étant qu’une pure créature sortie des mains du Très-Haut, comparée à sa majesté infinie, est moindre qu’un atome ou plutôt n’est rien du tout, puisqu’il est seul celui qui est, et que par conséquent ce grand Seigneur, toujours indépendant et se suffisant à lui-même, n’a point eu ni n’a point encore absolument besoin de la sainte Vierge pour l’accomplissement de ses volontés et pour la manifestation de sa gloire : il n’a qu’à vouloir pour tout faire.
Je dis cependant que, les choses supposées comme elles sont (21), Dieu ayant voulu commencer et achever ses plus grands ouvrages par la très sainte Vierge depuis qu’il l’a formée, il est à croire qu’il ne changera point de conduite dans les siècles des siècles ; car il est Dieu et ne change point en ses sentiments ni en sa conduite.”
Ainsi, il est clair pour lui, comme pour toute l’Eglise, que le seul Sauveur est le Christ, le seul Rédempteur est Jésus. (C’est d’ailleurs, me semble-t-il pour éviter une confusion qu’aujourd’hui encore l’Eglise demande officiellement de ne pas pas attribuer à la Vierge Marie le titre de Co-Rédemptrice, craignant que l’on attribue en direct à Marie, ce qui appartient en propre à Jésus, et par participation à Marie. Marie est ”moyen”, Jésus est source).
Une fois ceci établit, S. Louis-Marie avance en s’appuyant sur cette base.
1) Jésus sauve tous les hommes
2) Seul, Jésus sauve les hommes
”Sachez-le donc, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël : c’est par le nom de Jésus le Nazaréen, lui que vous avez crucifié mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts, c’est par lui que cet homme se trouve là, devant vous, bien portant.
Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle.
En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. » (Ac 4, 12)
3) Jésus n’a besoin de personne d’autre, il est le seul médiateur entre Dieu et les hommes.
”En effet, il n’y a qu’un seul Dieu ; il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus” (1Tm 2, 5)
4) Jésus n’a besoin de personne, mais Il désire s’associer sa créature par surabondance d’amour et de miséricorde.
Dieu désire, depuis l’origine de la création, faire alliance avec les hommes.
Ex. Dieu crée le monde, et le confie à l’homme et à la femme.
” Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme.
Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »
Dieu dit encore : « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture.
À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte. » Et ce fut ainsi.
Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.” (Gn 1, 27-31)
Dieu fait alliance avec le premier homme et la première femme, c’est sa première parole à l’homme.
Il leur confie le gouvernement de la terre, la régence de Son royaume terrestre.
Il va même plus loin, d’une certaine manière, Il leur remet même d’être associé, de participer d’une manière seconde certes, par la procréation à la création même de Dieu de toute nouvelle âme humaine.
Ainsi, seul Dieu est le créateur, et Il est l’Unique créateur, mais Il choisit de s’associer sa créature comme procréateur.
Donc, oui Dieu seul crée, mais son amour ne veut pas créer sans nous associer à Lui.
Dieu pourrait faire jaillir des fils d’Abraham de ces pierres
”N’allez pas dire en vous-mêmes : “Nous avons Abraham pour père” ; car, je vous le dis : des pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.” (Mt 3, 9)
Aussi devenons garder à la fois le fait que Jésus est vraiment l’unique Sauveur et l’unique médiateur, mais en surabondance d’amour et de miséricorde, Il désire associé sa créature à cette oeuvre de Salut.
Nous avons évidemment en premier la Vierge Marie, mais nous savons qu’à la suite de la Vierge Marie, Jésus désire toujours et encore nous associer à l’oeuvre du Père. Nous aussi, nous avons la possibilité d’entrer dans cette alliance nouvelle et éternelle. C’est, en raccourci, tout le sens du mot Femme.
Femme, d’abord la Vierge Marie
Femme, évidemment l’Eglise
Femme, chacune et chacun de nous
En résumé :
Comment se positionner par rapport à ceux qui ne passent pas par Marie pour aller à Jésus ?
L’essentiel est d’aller à Jésus.
C’est mieux d’y aller selon Sa volonté ; or, Il veut que nous passions par Marie.
Tout comme la finalité ultime c’est d’aller au Père, d’être tourné vers le Père et de devenir fils adoptif dans le Fils. Et nous ne pouvons y aller que par Jésus, sous le souffle de l’Esprit Saint.
Jésus ne sauve-t-il pas tous les hommes de bonne volonté, donc aussi ceux qui ne passent pas par Marie ?
Jésus sauve tous les hommes de bonne volonté, même ceux qui ”ne passent pas par Lui”.
Un homme de bonne volonté n’est pas nécessairement un chrétien ; donc il ne choisit pas de passer par Jésus dont il n’a peut-être même pas entendu parlé.
Ainsi, un homme de bonne volonté est sauvé par Jésus sans le savoir. Cela ne supprime pas le fait que ce soit Jésus qui le sauve, et qui seul peut le sauver.
Avec Marie, c’est de même, une personne peut être sauvé par le Christ ( et par Marie) sans qu’elle se tourne vers Marie. Autre est la manière dont Dieu veut la sauver, autre est la lucidité avec laquelle cette personne se laisse sauver.
C’est une vraie question, notamment, lorsque nous sommes en relation avec des protestants.
Pour aller plus loin, voici un extrait du Magistère : Saint Pie X (Dz 3370) :
“En raison de cette communion de douleurs et de volonté entre Marie et le Christ, elle « mérita de devenir de la façon la plus digne la réparatrice du monde perdu », et pour cette raison la dispensatrice de tous les biens que Jésus nous a préparés par sa mort et par son sang.
Certes nous ne nions pas que la dispensation de ces biens ne soit le droit propre et particulier du Christ ; ils sont en effet le fruit exclusif de sa mort, et lui-même est en raison de son pouvoir le médiateur entre Dieu et les hommes. Cependant, en raison de cette communion de douleurs et d’angoisse entre Marie et le Fils dont nous avons parlée, il a été donné à cette auguste Vierge « d’être auprès de son Fils unique la très puissante médiatrice et avocate du monde entier ».
La source est donc le Christ, « de la plénitude de qui nous avons tous reçu » Jn 1,16 ; « par qui tout le corps, lié et rendu compact moyennant toutes les jointures qui le desservent… il opère l’accroissement du corps en vue de son édification dans la charité » Ep 4,16 . Mais Marie… est l’aqueduc’, ou encore le cou qui relie le corps à la tête…
Il est donc clair que nous sommes loin en effet d’attribuer à la Mère de Dieu le pouvoir d’opérer la grâce surnaturelle (un pouvoir) qui appartient à Dieu seul. Néanmoins, parce qu’elle l’emporte sur tous par la sainteté et par son Union avec le Christ, et parce qu’elle a été associée à l’œuvre du salut des hommes, elle nous mérite de congruo, comme on dit, ce que le Christ a mérité de condigno, et elle est le ministre premier de la distribution des grâces. »
En conclusion, il est bon de distinguer la nécessité et la surabondance d’amour de Dieu, sans les séparer.
Marie ne sauve personne comme telle, mais Jésus (cause première) ne veut sauver aucune personne sans que Marie y soit associée (cause seconde et subordonnée) comme étant la Mère de cette personne sauvée.
Marie est Mère de Dieu,
Marie est Mère des hommes, (Elle n’est pas mère des anges, mais seulement Reine des Anges)
Marie est Mère de Miséricorde
Quelle est la place de la miséricorde ?
EXTRAIT DU TRAITE :
49 : « Dieu le Saint-Esprit veut se former en elle et par elle des élus »
50 « Quand Marie a jeté ses racines dans une âme »
QUESTIONS : Si ceux qui choisissent de passer par Marie sont des élus, tous les hommes sont-ils bien appelés à cette dévotion ?
Si c’est Marie qui « jette ses racines dans une âme », cela sous-entend que c’est elle qui choisit ses enfants. La dévotion ne serait alors pas pour tous mais pour certains, ce qui semble contradictoire avec de nombreux passages du Traité (dévotion nécessaire au salut, Marie unique dispensatrice des grâces,…) ? D’autres passages disent aussi qu’il s’agit d’une voix aisée, sans dire qu’il s’agit de la seule…
REPONSE du frère Jean-Marthe :
1) Dieu veut se former des élus.
Oui, Dieu nous a tous élus.
Nous sommes tous prédestinés à la sainteté. Dieu nous a créé par amour et pour l’amour. Nous sommes donc tous élus.
2) Dieu veut se former en elle et par elle des élus.
C’est le choix de Dieu – Alliance, Femme.
3) Marie désire et accomplit la Volonté de Dieu.
Marie est une mère qui choisit ses enfants, oui, mais, une mère peut-elle ne pas choisir tous ses enfants!
Comme Dieu veut que nous soyons tous des élus ( que nous soyons tous baptisés, que nous soyons tous sauvés, etc…) Marie désire jeté ses racines dans notre âme, dans toutes les âmes. Mais, même si il y a une grâce qui nous prépare à vivre et choisir cette consécration, Marie ne peut ”jeter ses racines” que si nous le lui demandons en vérité.
St. Louis-Marie envisage même que son lecteur soit un pécheur endurci : il peut embrasser la vraie dévotion à condition de vouloir sortir du péché (VD 99-100).